Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
Sous le signe du Nanbudo
Pour les quarante ans de la création de la discipline par Yoshinao Nanbu, la FFKaraté et la commission nationale de Nanbudo ont offert les 19 et 20 mai derniers un week-end dédié aux passionnés venus de toute l’Europe, entre l’organisation de la Coupe d’Europe et les festivités du dimanche après-midi.
Hongrie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Italie, Espagne, Angleterre, Norvège, Suisse, France… Le temps d’un week-end, toute l’Europe du Nanbudo s’est retrouvée à l’Institut du Judo pour célébrer le quarantième anniversaire de leur pratique, née de l’esprit de Yoshinao Nanbu (voir par ailleurs). Mise à l’honneur dans son expression traditionnelle lors de la cérémonie anniversaire venue clôturer cette grande fête, elle le fut auparavant dans sa version compétitive, à travers les différentes épreuves de cette Coupe d’Europe qui a réuni près de quatre-vingt-dix athlètes, de cadets à vétérans.
La conception du Nanbudo par son fondateur
Interrogé il y a quelques années sur sa pratique, Yoshinao Nanbu raconte le cheminement qu’il a suivi pour en venir à créer le Nanbudo en 1978.
« Henri Plée était venu de France jusqu’au Japon et dans mon université pour chercher un expert et un combattant pour son club parisien. Il m’a remarqué et m’a proposé un contrat de trois ans. Beaucoup m’ont dit que j’étais fou, que ce n’était pas raisonnable, mais moi j’avais vingt ans et deux cents dollars en poche, je ne voyais pas beaucoup plus loin. Et puis c’était une façon de m’entraîner beaucoup et d’enseigner rapidement ce qui n’était pas possible au Japon. Et je n’ai jamais regretté. […] Après ces trois années, j’ai voyagé pendant un an pour mûrir mon expérience. Ensuite, avec l’aide financière d’un élève, moi petit Japonais, j’ai ouvert une école dans le XVIIe dans une ancienne salle de boxe où s’était entraîné Cerdan. J’y ai enseigné le shukokai karaté en faisant venir beaucoup d’experts des différents groupes. En même temps, je concevais et j’enseignais l’école sankukaï. […] Si j’étais resté au Japon, je serais sans doute toujours de l’école shito, mais j’avais fait trois ans d’une expérience très forte d’enseignement, avec des gens du monde entier, l’équipe de France, j’avais enseigné différentes disciplines, cela m’avait ouvert les yeux. Il était nécessaire que je fasse la synthèse de ces expériences, de mes principes pédagogiques, de mes connaissances. J’avais le sentiment que le style de karaté que j’enseignais manquait du principe de l’esquive. Je trouvais qu’il valait mieux éviter d’être touché quand on manque d’un physique puissant. J’avais une vision claire de ce que je souhaitais transmettre. Je voulais aussi m’adresser aux gens du monde entier en devenant unique, unifié, comme Kano et son judo, Ueshiba et son aikido et non pas parcellaire, un bout de ci, un bout de ça. Mais est-ce que la question s’est réellement posée pour moi de faire ou de ne pas faire ? Non, il fallait inventer autre chose, il fallait que je le fasse. »
« Quand j’ai commencé à montrer ce que je voulais désormais faire et transmettre – que j’ai fini par appeler « nanbudo », comme Maître Vergès lui-même me l’avait conseillé à l’époque où il était mon défenseur – on m’a dit : « c’est trop compliqué, personne ne suivra ». Ce n’était pas la question. Encore une fois, il fallait avancer, évoluer et faire évoluer mon karaté. Je voulais éviter la compétition classique et aller vers des échanges plus codifiés d’attaque-défense. Il y avait des changements techniques – dont certains m’avaient été inspirés par le full contact de Bill Wallace ! – des aspects de santé… Je suis remonté à Paris et j’ai commencé à travailler selon cette nouvelle méthode. J’avais notamment eu l’idée de la répétition de mots et de phrases pour affermir la mentalité juste, comme un mantra. Ainsi, nous répétons en japonais et dans la langue de l’élève – dans les grands stages, il y a toutes les nationalités et c’est impressionnant – les mots « Force », « Courage » et « Conviction ». Les qualités que nous cherchons à cultiver en nous, les qualités qui doivent nous permettre d’avancer dans le travail des arts martiaux, dans la vie. Ce n’est pas de l’auto-persuasion, c’est de la confirmation de ce que l’on a en soi. Par ce travail, on amène ces qualités plus haut, dans notre conscience quotidienne. On se transforme. Ce sont des procédés qu’on utilise dans beaucoup d’écoles spirituelles, dans beaucoup d’églises, mais si je reprends le concept, je ne pense pas qu’il soit bon de mettre de la religion dans la pratique martiale. Pour qu’elle soit universelle, il faut que chacun puisse s’y sentir à l’aise avec son dieu, ses conceptions personnelles. »
« Ce que je propose aux gens, c’est surtout de la difficulté ! Mon école n’est pas facile d’accès, avec de nombreux aspects différents, beaucoup de techniques, et je crois que c’est une bonne chose. Quelqu’un m’a dit un jour que, pour la vie, il faudrait avoir une carte. Être comme un voyageur, avoir un but précis, un itinéraire choisi. Le karaté représente cela, il est la carte de la vie. Quand on pratique, on apprend quel est son objectif et les étapes intermédiaires à franchir. On développe les qualités d’un voyageur, on se connaît mieux. Comme avec une carte, on peut appliquer cette expérience des arts martiaux à l’existence toute entière. Se donner un but, choisir son chemin, les étapes à atteindre. »
Par Alice Boivineau, Mathieu Leniau (vidéo), Denis Boulanger (photos) et Emmanuel Charlot (Interview)