Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Okinawa, l’île principale de l’archipel des Ryu Kyu, est le chaudron où s’est élaborée au cours des siècles une boxe pieds / poings particulière, connue actuellement sous le nom de karaté.
L’île, théâtre d’une terrible bataille lors de la guerre du Pacifique, est surtout connue au Japon pour son régime alimentaire sain et ses fonds marins qui comptent parmi les 10 plus beaux spots de plongée au monde. Depuis quelques années, le gouvernement préfectoral a pris conscience qu’il possédait un autre trésor à promouvoir, le karaté d’Okinawa et la culture qui l’accompagne.
Dès 1995, le Budokan, une première structure pouvant accueillir d’importantes manifestations était construite. En mars dernier, Okinawa inaugurait un nouvel espace, l’Okinawa Karaté Kaikan ! Partons à sa découverte en compagnie de Miguel Da Luz, un Français installé sur l’île depuis plus de 20 ans.
Miguel Da Luz en quelques mots…
Né en 1971, Miguel débute le karaté Goju-ryu à 15 ans avec Bernard Cousin à Quimper. Il arrive à Okinawa en 1993 et s’y installe.
À partir de 2005, il travaille en faveur de la promotion du karaté d’Okinawa et crée l’OTKLB (Bureau de liaison du Karaté Traditionnel d’Okinawa) en 2011. Avec cette structure, il a facilité la venue de plus de 700 pratiquants en cinq ans. En mai 2017, il est embauché par l’OKIC (Okinawa Karaté Information Center), en tant que responsable des relations publiques.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’Okinawa Karaté Kaikan ?
L’Okinawa Karate Kaikan est un projet de la Préfecture d’Okinawa. Le lieu comprend un dojo de 1278 m2, un dojo d’entraînement de 185 m2, un dojo de prestige, des espaces pour des entraînements extérieurs, des vestiaires, un musée du karaté et du kobudo, un restaurant, une boutique, une salle de conférence, de nombreux bureaux… La Préfecture a délégué la gestion de la structure à l’OCVB, un syndicat d’initiative. En parallèle, elle a débloqué des fonds pour créer OKIC, le Centre d’Information du Karaté d’Okinawa. J’y suis en charge des relations publiques, avec, pour mission de faire la promotion du karaté à l’international.
Un Français responsable de la promotion du karaté à Okinawa, comment est-ce possible ?
Je ne suis plus l’élève d’un dojo particulier, et j’entretiens d’excellents rapports avec la plupart des maîtres de l’île. En tant qu’étranger, je n’ai pas de relations familiales avec les okinawaïens. De plus, je parle couramment français, japonais, anglais et dans une moindre mesure l’espagnol.
En quoi consiste vos fonctions ?
Faire la promotion d’Okinawa à travers le karaté et le kobudo. Le karaté n’existe que parce qu’il repose sur la culture d’Okinawa. L’importance de la culture de l’île est essentielle dans la manière dont s’est développé le karaté d’Okinawa. J’assure donc la promotion du karaté et du kobudo d’Okinawa. Chaque année, quatre à cinq mille pratiquants se rendent ici. Les trois-quarts d’entre eux ont leur école à Okinawa. Je m’occupe des 25 % de pratiquants qui viennent pour la première fois et qui n’ont pas d’attache sur l’île. Concrètement, je les aide à organiser leur séjour et leurs entraînements.
« La plupart des gens qui viennent une fois, reviennent »
Est-ce à dire que vous les mettez en relation avec un dojo ?
Je les aide à choisir un dojo. La plupart des karatékas qui nous sollicitent ne pratiquent pas un style d’Okinawa. Ils n’ont donc pas de contact sur l’île. Je leur demande de répondre à un questionnaire pour avoir une idée de leur parcours martial. Ensuite, je leur propose une liste de dojos qui pourraient les accueillir. Prenons l’exemple d’un pratiquant de style Shotokan. Je lui envoie quelques vidéos de 5 styles okinawaïens : Shorin-ryu, Shorinji-ryu, Sukunaihayashi-ryu, Matsubayashi-ryu, et Isshin-ryu. Il les regarde et me transmet son choix. Je me charge alors de contacter le maître pour des cours collectifs ou privés.
Justement, comment se passent les entraînements ?
Un dojo, c’est une famille. Tu entres dans un dojo comme dans une maison, tu es un nouveau-né, tu ne sais rien, tu es là pour apprendre. Il faut se mettre dans une position de débutant. On vient pour apprendre, pas pour faire ce que l’on fait habituellement. La plupart des gens qui viennent une fois, reviennent. La première fois, ils font un choix, choisissent un dojo et cherchent à nouer une relation avec un dojo, un maître. Les maîtres d’Okinawa n’attendent rien. Ils n’ont qu’un but, faire découvrir leur pratique. Le fait d’entrer dans une famille procure des avantages mais aussi des devoirs, entre autres de fidélité. C’est pour cette raison qu’il n’est pas judicieux de fréquenter plusieurs dojos.
Effectivement, j’ai entendu que les maîtres se méfiaient des chasseurs d’images, qui ne viennent que pour faire des photos avec le plus grand nombre d’experts !
Et il est beaucoup plus intéressant sur le plan technique et humain de nouer une relation au long terme, au sein d’un même dojo.
Quel est le coût de tels entraînements ?
Les cours collectifs sont à 3000 ¥ (environ 23€, NDLR) par personne et par cours. Un cours privé varie de 3000 à 8000 ¥ (environ 60€, NDLR), selon le grade du pratiquant.
Où se passent les entraînements ?
Il y a différentes possibilités. Un dojo au Kaikan peut être loué pour moins de 3000 ¥ et il est facile d’organiser des stages dans la journée, de préférence durant la matinée car il y fait moins chaud. Pour des petits groupes, il y a la possibilité de s’entraîner dans les dojos privés. Le Kaikan offre également la possibilité d’utiliser ses installations à moindre coût : 160 ¥ (1,20€) par personne pour deux heures (+ 100 ¥ pour la douche). Pour ceux qui souhaitent voyager légers, il y a la possibilité de louer un karate-gi sur place (300 ¥ / h au Kaikan et 1400 ¥ pour 2 jours en passant par une société de location).
Comment peut-on vous contacter ?
Il faut me contacter par l’intermédiaire du site de l’OKIC ( www.okic.okinawa) environ deux ou trois mois à l’avance. Pour un groupe de cinq personnes ou plus, il veut mieux prévoir un peu plus large, et compter quatre ou cinq mois.
Signe sans doute que la prochaine présence du karaté au Jeux Olympiques de Tokyo commence à intéresser l’ensemble de la société japonaise, l’Okinawa Times, un quotidien régional d’importance, a choisi de consacrer l’une de ses conférences mensuelles à cette discipline et cela pour la première fois en 50 ans. Le journal vous a sollicité Miguel, pour y présenter le karaté. Et, depuis avril, il consacre une page au karaté et au kobudo dans son édition dominicale. Vous y écrivez deux à trois fois par mois pour y présenter des dojos de karaté d’Okinawa à l’étranger. Quel est le sentiment des karatékas d’Okinawa qui sont dans une pratique traditionnelle, par rapport à cette reconnaissance olympique ?
Les Okinawaïens sont très fiers de la reconnaissance olympique. À Okinawa, la compétition est perçue comme une démonstration, comme l’occasion de se mesurer à soi-même. De nombreuses rencontres sont organisées comme celle du dimanche 16 juillet, où 2132 enfants ont donné le meilleur d’eux-mêmes au Budokan. Quant à la reconnaissance olympique et le coup de projecteur médiatique qui va avec, c’est une bonne occasion pour que le karaté d’Okinawa se réveille et fasse sa promotion. D’ailleurs, la section de promotion du karaté au sein du gouvernement de la Préfecture d’Okinawa organisera, du 1er au 8 août 2018, le premier tournoi international de karaté d’Okinawa. Cette compétition se doublera de stages avec des experts. 5000 participants sont attendus à cette occasion. La compétition comprendra des épreuves de karaté et de kobudo et se déroulera au Budokan et au Kaikan.
Un dernier mot pour conclure…
J’invite les pratiquants à faire le voyage. Ainsi, ils pourront mettre un peu d’Okinawa dans leur pratique pour la rendre plus agréable et accessible au plus grand nombre.
Cet entretien se poursuit en compagnie du responsable du Kaikan, Hiroshi Arakawa, qui nous fait visiter des installations neuves, spacieuses et bien conçues. Les dojos sentent l’odeur du bois récemment travaillé. Les parquets ont une élasticité agréable. Le passage par le musée est indispensable. Un film, projeté dans la salle de cinéma située près de l’entrée, retrace l’histoire des arts martiaux okinawaïens. Il est possible d’en voir une version sous-titrée en anglais. Ensuite, les salles d’exposition proposent de nombreux panneaux qui reprennent les sujets abordés dans le film. Chacun, pourra déambuler à son rythme, s’attarder sur la biographie d’un maître des temps anciens, sur des armes antiques, détailler des pages du Bubishi ou admirer l’un des rares exemplaires de Ryukyu Kempo, le premier livre publié par Gichin Funakoshi, en 1922. La salle comprend plusieurs écrans tactiles qui proposent en plusieurs langues, dont le français, une traduction des textes explicatifs des différents panneaux. Enfin, une partie plus ludique permet de découvrir les différents poids typiques d’Okinawa ou de tester la qualité de son tsuki !
Plus d’infos sur http://karatekaikan.jp/en/
Propos recueillis par Stéphane Fauchard / Photos : Muriel Fauchard
la rédaction