Les valeurs ont du sens. Elles irriguent et nourrissent la…
Décryptage
Pratiquants sincères, leur chemin a croisé celui du karaté au point d’en changer leur vie. Leur rapport aux autres, leur regard sur eux-mêmes et celui sur le monde qui les entoure, leurs perceptions de la victoire comme de l’échec… Sept parcours, sept voix distinctes qui se livrent sur ce que le karaté leur a appris.
Championne d’Europe de karaté en 1995… magistrat vingt ans plus tard. Un parcours aussi brillant qu’atypique pour une jeune femme d’un milieu modeste qui a mis ses qualités de combattante au service de son épanouissement professionnel.
ELLE. 2e dan. Brillantes études à Aix puis à la Sorbonne à Paris, lieutenant de police durant quatre ans après un DEA sciences pénales et criminelles, puis juge après avoir réussi l’école de la magistrature de Bordeaux, Sonia Pallin a récemment rejoint le Tribunal de Grande Instance d’Orléans (Loiret) en tant que vice présidente et juge pour enfants, après cinq années à Blois (Cher). Son passé de championne ? « Je n’en parle pas, mais je suis vite repérée, les gens me googlisent » (rires). Son message en creux : « Favorisons les études aménagées pour participer à la réussite des karatékas dans la société ».
© Denis Boulanger / FFKDA
Culture de l’effort
« J’ai débuté le karaté chez Laurent Saïdane, à Marseille, au club de l’UJM qui était aussi celui de Serge Tomao (Champion d’Europe des +80kg et du monde par équipes en 1994, NDLR). J’ai fait l’essentiel de ma carrière sportive à Marseille ainsi qu’une partie de mes études, puisque j’ai fréquenté l’université d’Aix jusqu’en licence. Et si je suis ensuite montée à Paris pour poursuivre mon cursus à la Sorbonne, en m’entraînant au Timing Enghien de Patrice Ruggiero, ce sont autant d’années où j’ai mené de front mes études et la compétition de haut niveau. Du coup, alors que j’étais lieutenant de police en congé maternité, je me suis retrouvée à m’ennuyer un peu… et j’ai décidé de préparer le concours de la magistrature. Nous étions en 2004. J’ai réalisé un peu plus tard que j’avais tellement été habituée à une surcharge de travail, que j’en avais besoin. Cette période où il m’avait fallu tout mener de front, sans aménagements, m’avait donné une grande capacité de travail, une véritable culture de l’effort où j’ai appris à repousser mes limites mentales et physiques.»
Savoir se fixer des objectifs
« Ce cursus difficile sur le plan des études, je ne l’ai pas vécu comme un poids. Pour être franche, l’année où je suis devenue championne d’Europe (1995, NDLR) je n’ai pas eu de difficulté à décrocher ma licence. J’ai même sans doute été plus forte cette année-là dans les deux domaines qu’au cours des autres années. Je sais que c’est notamment parce que j’avais compris comment me fixer des objectifs, décider des moyens nécessaires pour les atteindre, être capable de mettre en place une mécanique qui permette de s’organiser, de ne pas se disperser. J’ai acquis cette aptitude à concentrer mon travail dans le temps et sur des périodes, comme j’ai pu le faire dans le cadre de mes préparations pour les grands championnats. Une capacité de concentration qui m’est encore très précieuse aujourd’hui au cours d’audiences qui peuvent parfois durer dix heures.»
Intelligence du combat
« Je me surprends encore, parfois, à analyser certaines situations avec ce regard du combattant : il y a dix personnes dans le bureau, une situation difficile où il faut éviter le conflit, presque physique parfois. Je reste très calme et sûre de moi, claire dans mes choix et en capacité de les assumer. En fait, tout cela n’est pas si différent du combat : pour gagner, s’imposer, il faut mener les choses de manière stratégique, avec l’intelligence du combat et des situations. Je sais évaluer, non plus l’adversaire mais les personnes que j’ai en face de soi. Une posture avec de la prise de distance face aux événements et aux personnes que le karaté m’a apporté.»
Gestion du stress
« …Celui des concours devant un jury de dix personnes par exemple. On peut être brillant et perdu, noyé par le stress. Cela peut arriver dans mon métier où l’oralité est très importante. Quand on a fait de la compétition, que l’on a eu l’habitude d’entrer dans l’arène, cela ne fait pas peur : on sait gérer ses émotions. La compétition nous y conduit naturellement. C’est la même chose pour la gestion de la pression pour rendre un avis : elle est là, sur nos épaules, comme elle l’était sur moi en compétition où je ne devais pas risquer de faire perdre l’équipe. En fait, le sport et le karaté en particulier m’ont permis de savoir “vivre dans le danger” tout en travaillant sereinement.»
Patron d’une grande entreprise partenaire du karaté français, Jean-Michel Grunberg est d’abord et avant tout un pratiquant passionné. Témoignage du parcours singulier de ce 3e dan qui rappelle que le karaté est un interlocuteur crédible face aux maux de la société actuelle.
Comment décrire votre rencontre tardive avec le karaté ?
J’ai débuté le karaté par hasard en accompagnant mes enfants. À 40 ans, je cherchais quelque chose de plus intérieur… J’ai vite compris que devenir un bon karatéka prendrait du temps. Les enfants ont grandi, sont passés à autre chose. Moi, je suis resté car il s’agissait d’une démarche intellectuelle intéressante, notamment sur la connaissance de soi, la maîtrise des situations, la connaissance de l’autre évidemment, une pratique qui demandait beaucoup de concentration, un long cheminement. J’y ai développé des capacités physiques, des réflexes, mais surtout beaucoup plus que ça. Cela m’a tout simplement aidé à vivre mieux.
C’est cette exigence qui vous a donné envie de continuer ?
Oui, dans le karaté, il faut du temps pour comprendre, ressentir, être efficace. En cela, c’est une école d’exigence qui me plaît. En fait, c’est pour moi beaucoup plus riche que ce que je pouvais en percevoir ou l’idée que s’en font les gens de l’extérieur. Il y a beaucoup d’écrits autour du karaté et des Budo dans la littérature sino-japonaise dont je me suis nourri. J’ai aimé –en croisant aussi la route de professeurs de l’épaisseur de Patrice Belrhiti et Christian Clause, des experts qui rendent simples les choses compliquées, cette recherche d’absolu…J’ai toujours fait du sport, mais j’ai compris avec le karaté que la force est secondaire. Le karaté, c’est l’art martial, l’attention portée à l’autre pour l’aider à progresser, une grande richesse et ce long cheminement pour devenir un bon karatéka. On se bat pour être précis, pour mieux maîtriser. On comprend aussi, dès lors que l’on pratique avec sincérité, qu’il faut éviter le combat. Cela m’a porté. Pour mieux comprendre, j’ai aussi passé mon Brevet d’État.
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Vraiment ?
Oui, ça a été le prolongement de l’éveil à quelque chose d’important, avec l’idée centrale que l’on apprend mais que l’on doit aussi transmettre. J’ai passé mes grades jusqu’au 3e dan et j’ai passé ce Brevet d’État pour m’aider dans ma pratique et parce que l’on apprend beaucoup en transmettant. Depuis, j’ai ralenti et je ne pratique plus beaucoup, mis à part les katas. Je perds des réflexes, mais j’ai le sentiment que certains éléments de compréhension se sont développés dans la répétition attentive de leur rythme lent. J’y ai encore trouvé autre chose… et conservé la certitude que le karaté a beaucoup à dire et à apporter dans la société, peut-être plus que jamais.
Pouvez-vous préciser ?
Le dojo, c’est un cadre, où nous sommes tour à tour élève, partenaire, adversaire. Le karategi blanc, c’est l’égalité. Le salut, c’est du respect à quelqu’un qui en sait plus que vous. Le karaté, c’est obéir aussi. En tant que chef d’entreprise, je crois que l’on doit pouvoir retrouver tout cela chez un bon manager. Oui, le karaté est une école qui peut former des chefs. C’est aussi celles des principes, des équilibres, des repères qui manquent dans notre société, notamment dans l’exigence. On considère parfois que cette rigueur peut limiter le recrutement de nouveaux licenciés mais voyons à long terme : c’est la force de notre discipline. Vulgariser oui, mais être exigeant, revendiquer les valeurs de notre discipline, il ne faut surtout pas y renoncer.
Un palmarès aussi remarquable que son évolution personnelle, débutée la vingtaine sonnante par la gestion d’une salle de sport, et un cheminement qui perdure sans dévier au cœur de la pratique martiale. Ainsi avance Romain Anselmo…
LUI. 43 ans, 6e dan. Il a fait partie de cette indestructible équipe de la fin des années 1990, aux côtés notamment des Le Hétet, Pinna, Cherdieu, Pyrée, Braun, Varo. Au compteur, trois titres de champion du monde par équipes, mais aussi une finale individuelle en 1994 en Malaisie, assortie de quatre couronnes continentales –la première en individuels cette même année 1994-– et de six titres nationaux. Titulaire d’une maîtrise en management international obtenue à Dauphine, il est depuis plus de dix ans à la tête d’une entreprise spécialisée dans le bâtiment.
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En quoi les arts martiaux, et le karaté en particulier, participent à la formation de bons citoyens ?
Discipline, abnégation, sens du travail et goût de l’effort… Le karaté, en tant qu’école de vie, transcende ses pratiquants, donne confiance aux timides et canalise les énergiques, peu importe leurs catégories socio-professionnelles, leurs origines ou leurs religions. En ce sens, on peut parler d’une pratique universelle, qui offre un équilibre entre activité physique et activité spirituelle, qui s’avère complet. Contrairement au sport, les arts martiaux possèdent cette dimension éthique, qui fait toute leur singularité. « L’égoïsme disparaît dans la rigueur de l’entraînement » comme disait Maître Oyama, fondateur du kyokushinkaï. Sans l’autre, on ne peut pas se réaliser dans les arts martiaux. Le travail de couple, très important, favorise l’apprentissage de la vie en société. Où le karatéka, avec sa posture droite et sa belle attitude, va bien présenter, en sachant ressentir son état et gérer ses énergies. Très utile pour un entretien d’embauche par exemple…
Le fait d’avoir été un grand champion vous a-t-il conféré une responsabilité ?
Si les athlètes qui brillent ont tous un devoir d’exemplarité, je n’en ai pas du tout été conscient à l’époque. Cette responsabilité de chef de file, que possède le patriarche ou le père de famille par exemple, je l’ai en revanche ressentie en moi dès que j’ai commencé à enseigner le karaté, à l’âge de dix-huit ans. Faire attention à tous, en veillant à prendre en compte les aspirations de chacun, et surtout ne pas faire en sorte de façonner tout le monde dans le même moule. Si un jeune a de très bonnes jambes, on ne va pas lui faire perdre ça. C’est une question de bon sens. Et le fait d’avoir enseigné tout en côtoyant le haut niveau m’a permis d’aborder le management de différentes manières. Celui de la performance sportive et celui de la progression, qui est une autre logique de performance, sans impératif de résultats. Dans les deux cas, comme dans mon rôle de chef d’entreprise désormais, il convient de travailler avec les qualités propres à chaque personne. Désormais, avec le recul, et peut-être aussi parce que je suis père de quatre enfants (rires), je peux dire que mes choix sont faits en conscience de tout cela.
Votre accomplissement est désormais loin des podiums. Quelle est votre approche désormais ?
Lorsque l’on dépasse les spécificités de la compétition, la profusion des styles laisse envisager des perspectives de progression infinies, et ce à tout âge. Cette notion de durée est particulièrement intéressante. Car il est possible de poursuivre une véritable démarche martiale sans être physiquement au top. Il faut juste rester humble et reconnaître le sens du travail. Ça fait trente ans que je m’entraîne plusieurs fois par semaine, et j’estime n’avoir parcouru qu’un tout petit bout du chemin. Je suis extrêmement motivé pour continuer, en cherchant partout les moyens de m’améliorer. Il n’est plus question d’efficacité ou de médaille. De la même manière, si je ne peux bien sûr pas l’occulter, il n’y a pas que l’aspect financier qui compte dans mon entreprise. Ma quête consiste à avoir du discernement, pour atteindre le plus possible l’état de pleine conscience. C’est quelque chose de difficile. Mais ce serait trop beau sinon…
Après avoir conclu sa belle carrière sur une médaille mondiale en kata par équipes à Bercy en 2012, la Niçoise s’est jetée corps et âme dans sa reconversion professionnelle. Avec toujours la même rigueur et beaucoup d’envie.
ELLE. 29 ans, 4e dan. Titulaire du BEES 1 depuis 2007, celle qui arbore dix-huit médailles nationales entre 1999 et 2011, est responsable des activités sportives à la direction des sports de la Ville de Nice. Septuple médaillée aux championnats d’Europe (dont le titre juniors en 2006 et celui en seniors en 2012), quatre fois médaillée aux championnats du monde, dont une finale en 2008, elle s’est également lancée dans le coaching.
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Reconversion
« Avant même la fin de ma carrière sportive, j’étais déjà engagée dans ma reconversion au sein de la direction des sports de la Ville de Nice. Je suis donc directement passée en temps plein, en tant que responsable d’activités sportives pour les seniors. J’ai réussi à intégrer ma passion du karaté dans le cadre de mon travail en portant un projet de karaté santé, pour lequel je gère une équipe d’éducateurs, ainsi qu’en développant le karaté à l’école. »
Capitaine …
« Je vois beaucoup de points communs avec mon rôle de capitaine de l’équipe de France kata et ce rôle de responsable d’équipe aujourd’hui. Inconsciemment, je faisais déjà du management à cette époque. Il fallait être à l’écoute des autres, savoir communiquer, définir une progression et des objectifs à atteindre, et mettre une méthode en place pour y parvenir. En fait, c’est tout ce que j’applique aujourd’hui au quotidien pour que ce que nous mettons en place soit efficient. Ce qui est différent ? Il me faut savoir faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité, en fonction des personnalités. Dans la vie, il n’y a pas d’adversaire, il n’y a plus non plus cette pression de la compétition… Tout cela doit laisser place à un esprit d’équipe, à de l’entraide qui rendent le tout plus convivial. C’est ce qui me permet d’évoluer avec état d’esprit davantage détendu. »
Gestion des émotions et rigueur
« La pratique du karaté depuis plus de vingt ans m’a permis de forger mon caractère, dans la persévérance et le goût de l’effort. Le haut niveau m’a obligé à gérer le stress et les émotions, ce qui me permet de toujours rester bien concentrée sur les situations qui se présentent dans mon travail. Pour réussir en kata, il faut beaucoup de répétitions, afin d’obtenir la précision du geste, sans le moindre déséquilibre. On en développe une obsession pour ce qui est carré ! (rires) Cela nous rend perfectionniste, limite maniaque. Une rigueur assez prononcée que soulignent mes collègues. Tout doit être fait pour que l’organisation soit béton. »
Image atypique
En parallèle de mon poste à la Ville de Nice, je me suis également lancée depuis un an et demi comme auto-entrepreneur dans le coaching. Je propose de l’accompagnement sportif, des stages ainsi que des cours particuliers, principalement autour des kata et des bunkaï. Je porte un regard très critique sur mes élèves, qui me confient souvent que cette exigence leur apporte des repères. Ce passé dans le haut niveau constitue un véritable plus par rapport à d’autres coaches. Être une femme me confère des regards particuliers, car cela reste une image atypique. »
Premier champion du monde de l’histoire du karaté français en 1980, Jean-Luc Montama a embrassé la voie du coaching alors que sa carrière était tout juste terminée. Trois décennies à transmettre, parmi d’autres centres d’intérêt, pour cette silhouette discrète de 59 ans qui ne fait pas son âge.
LUI. 59 ans, 6e dan. Champion d’Europe juniors 1975 et 76, triple champion de France, vice champion d’Europe 1979 (Open) et 1980 (+80kg), champion d’Europe par équipes puis 3e aux championnats du monde par équipes dans la foulée en 1980, l’année de son titre mondial, Jean-Luc Montama a arrêté sa carrière dans les mois suivants pour devenir coach et entraîneur. Mannequin durant quelques années, il a notamment défilé pour les couturiers Kenzo Takada et Yohji Yamamoto. Acteur au cinéma et pour des séries TV, il possède également une filmographie inattendue, ayant notamment tourné avec Johnny Hallyday ou Pierre Mondy.
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Des portes se sont ouvertes
« Je fais du coaching personnel depuis trente-cinq ans. En fait, cela a démarré alors que je donnais des cours particuliers de karaté rue de la Montagne Sainte-Geneviève à Paris. Après le haut niveau, beaucoup de portes se sont ouvertes. Je m’étais orienté vers des études de commerce après un bac éco, mais ce n’était finalement pas ma voie. Après mon titre mondial, j’ai multiplié les stages durant près de deux ans. Je m’y suis beaucoup investi, je me suis beaucoup moins entraîné aussi. J’ai été happé par l’enseignement, le plaisir de transmettre. Et puis, quand j’ai commencé le karaté à la Montagne Sainte-Geneviève en 1973, il faut rappeler que je ne l’ai jamais fait pour être champion du monde. C’est mon titre européen juniors en 1975, alors que je remplaçais le titulaire au dernier moment, qui m’a propulsé là-dedans. »
La voie de la santé
« J’ai développé ma propre méthode de coaching physique autour du karaté, le health karaté training : de la course, des assouplissements, des étirements, mais tout cela associé à un travail technique systématique, une recherche d’efficacité, de réalisme. Du coaching sportif axé sur le combat avec ce qu’il implique de mobilité, d’enchaînements, de travail d’esquive. Sur le plan technique, c’est du karaté de compétition qui vise à développer la rapidité, le timing, le coup d’œil, la gestion de la distance, la concentration, la capacité à ne pas douter… Je ne prétends pas avoir la vérité, c’est juste la mienne. J’apporte une pratique sportive karaté dans une perspective d’entretien physique, de corps souple et de mieux-être. Le mental ? En fait, j’ai choisi de me concentrer sur l’entraînement physique, j’estime que l’aspect mental n’entre pas dans mes compétences. Évidemment, j’apporte des connaissances mais le transfert entre les attitudes martiales et une position de manager ou de chef d’entreprise, je le laisse à mes clients qui le font assez bien seuls d’ailleurs. Je ne me sens pas assez légitime pour faire de mon histoire sportive une source de théorie de management pour un chef d’entreprise.»
Le critère de l’efficacité
« Je suis devenu champion du monde parce que j’étais un bon attaquant. Sans aucun doute aussi parce que j’ai vite compris également que mon point faible était la défense. L’efficacité, la performance, la gagne sont venues de là : savoir se placer par rapport à un objectif que l’on s’est fixé, s’auto-évaluer, ne pas se mentir, bien s’entraîner, c’est-à-dire de manière efficace. Dans le coaching, cette activité qui s’est imposée à moi, c’est important, mais le critère de l’efficacité a très vite été et est toujours très clair : je garde le client ou pas ! »
Empathie
« Quel enseignant suis-je aujourd’hui ? Que ce soit au dans mon club dans le 19e arrondissement de Paris, où je donne des cours deux fois par semaine, ou dans mon activité de coach, j’ai compris la façon de décliner les connaissances, la nécessité d’avoir de l’empathie pour effectuer un bon travail de coach et la pertinence de l’activité pour que la personne aille le plus loin possible. J’ai lu récemment que Marie-José Pérec, qui a été cette si grande championne, avait le sentiment d’enfin maîtriser ce qui consiste à se mettre à la place de l’autre. Elle disait en substance : “Désormais, je peux faire gagner du temps à mes jeunes. Je suis capable de comprendre, d’analyser et d’accepter leurs lacunes et leurs forces.” Venant d’une telle championne, forcément égocentrée pour réussir ce qu’elle a fait, c’est fort de sens : pour donner, transmettre, il faut être à l’écoute des autres. Pas simplement entendre mais écouter. Cela induit aussi plus d’humilité, de sagesse, la recherche d’une vie plus apaisée quelque part. »
Sans le karaté ?
« C’est une question difficile. Je me la suis souvent posée, peut-être plus qu’on ne me l’a posée d’ailleurs. Jeune, j’avais des capacités physiques et des résultats dans différents sports, mais je ne suis pas sûr du tout que j’aurais pu atteindre ce niveau dans d’autres disciplines. Ce que je sais, ce que j’ai pu éprouver, ce sont ces connaissances transversales qui me servent dans ma vie quotidienne : la connaissance de soi, des autres, l’exigence, mais aussi l’empathie dont on vient de parler, l’optimisme aussi… En tout cela le karaté est unique et propose un parcours de vie, que l’on soit champion ou non, à partir du moment où l’on est un pratiquant sincère, régulier, attentif aussi pour conserver sa santé et bien vieillir. »
Passionné comme à ses débuts adolescent, Laurent Toutain cherche toujours à approfondir sa pratique en multipliant les rencontres. L’échange est au cœur de son cheminement sur le tapis, mais aussi auprès de ses collaborateurs ou de son fils Nathan, à qui il a su transmettre le virus des arts martiaux.
LUI. 51 ans, 3e dan. S’il a débuté le kyokushinkaï à 17 ans un peu par hasard, Laurent Toutain, élevé à la méthode Legrée, a rapidement trouvé sa voie, glanant au passage quatre victoires en coupe de France. Aujourd’hui fonctionnaire au service des Sports de la Région Ile-de-France ainsi que dans sa ville de Boulogne-Billancourt, où il a enseigné le karaté pendant une décennie, le quinquagénaire ne peut se résoudre
à raccrocher.
« Attiré par les arts martiaux dans une période où j’étais dans une recherche d’adrénaline, j’ai tout de suite eu un coup de cœur pour la rigueur et l’engagement physique du kyokushinkaï, un style qui favorise la liberté d’expression, dès le moment où il est enseigné avec de la discipline, en quelque sorte sa marque de fabrique. Grâce à Jacques Legrée, qui m’a également enseigné les bases du taikiken, j’ai eu la chance de suivre un certain nombre de stages avec deux sensei d’exception, Howard Collins en kyokushinkai (photos ci-contre, lors d’un stage en Suède en 1992 et en 2008) et Jan Kallenbach en taikiken, qui m’ont marqué par leur soif de savoir, leur passion de transmettre et leur simplicité. Aujourd’hui, c’est au contact de différents personnages comme Serge Chouraqui en shotokan, Zenei Oshiro en goju-ryu ou Dominique Valera en karaté-contact, que je continue à enrichir mon karaté, en l’associant aussi au travail énergétique abordé en taikiken.
« La notion de Zanshin peut se révéler précieuse »
Sur une base de kyokushinkai, je m’intéresse à tout, conscient que la connaissance n’a pas de limites. Il en va de même dans ma vie professionnelle : plus vous apprenez des dossiers et de vos interlocuteurs, plus vous vous apercevez du champ des connaissances à encore acquérir et des lacunes à combler. Dans mon job, j’essaie d’avoir le même engagement qu’en karaté, la même volonté de bien faire, de “tout donner” comme quand je pratiquais ou j’enseignais. Le service public est très important à mes yeux, surtout si l’on a partagé le quotidien ou les préoccupations de ses interlocuteurs. Le sport étant l’un des leviers pour améliorer la vie de chacun, j’envisage le service public comme un devoir, mais également comme une chance. Grâce aux arts martiaux, qui furent une véritable porte d’entrée, j’ai pu intégrer la direction de la Jeunesse et des Sports de la ville de Boulogne-Billancourt, où je me suis familiarisé avec le milieu associatif local et les fondamentaux du sport, tandis qu’à la Région Ile-de-France, j’ai la chance de découvrir un grand nombre d’interlocuteurs de qualité toutes disciplines confondues (associations, ligues, fédérations) au service de projets d’envergure. Des dossiers importants pour lesquels j’ai constamment besoin de la discipline et de la rigueur que j’ai pu acquérir grâce aux arts martiaux, mais aussi d’un respect partagé, point sur lequel il n’est pas question de transiger.
Le karaté m’apporte un certain self control mais ce n’est pas toujours facile, l’être humain n’étant pas simple par définition et le stress qu’il dégage pouvant vous affecter à n’importe quel instant. Le fait de vouloir assumer certaines décisions n’est pas toujours très évident non plus, la notion de Zanshin –la vigilance–, omniprésente dans les arts martiaux, peut alors se révéler précieuse. La discipline m’a également permis de canaliser mon trop plein d’énergie, tout comme il m’a fait découvrir une passion pour l’enseignement. Un enseignement strict, dans la pure tradition martiale, que j’ai su adapter au fur et à mesure de mes diplômes, en m’appuyant toujours sur la passion, que j’ai cherché à éveiller en chacun de mes élèves en transpirant autant qu’eux. Un accompagnement et une aide auxquels je suis forcément attaché dans mon travail, mais aussi auprès de mon fils, qui pratique le karaté depuis ses cinq ans. Je ne le pousse pas à la compétition, mais seulement à travailler à long terme, sans jamais lâcher, pour que sa pratique devienne la passion d’une vie. »
Du haut de sa magnifique carrière, celle qui a débuté en franchissant à reculons la porte du dojo est parfaitement consciente de l’apport de la discipline sur sa vie, sa place de la société et son rôle au sein de celle-ci.
ELLE. 42 ans, 5e dan. Douze fois championne de France en dix ans (Open compris), cinq fois championne d’Europe en individuel (1999, 2001, 2002, 2004, 2006) deux fois championne du monde (1998 et 2006). Avec ses partenaires Chéreau, Leroy et Mécheri, elle a obtenu le premier titre mondial par équipes féminines pour la France en 2000. Diplômée de l’ESSEC, elle est aujourd’hui conseillère en sport pour cette grande école de commerce et marraine de différentes associations dans lesquelles elle promeut l’éducation par le sport. Mais aussi coach au CSM Puteaux, expert fédéral, consultante télé, artiste de théâtre et maman de deux enfants. Pour une vie trépidante,
à son image.
© Denis Boulanger / FFKDA
« J’aime à dire que le karaté ressemble à une histoire d’amour avec un grand A. Il y a des hauts et des bas, des jours où tu gagnes des titres et des jours où tu n’as pas envie de t’entraîner. Au début, je ne voulais pas faire de karaté, je me suis donc fait violence, allant jusqu’à éprouver de la haine. Il a fallu faire des concessions, comme dans un couple. Mais on sort toujours grandi d’une relation. Et je peux dire aujourd’hui que le karaté est “quelqu’un” qui fait partie de ma vie. On parle également de la “famille du karaté”. Là aussi, ce n’est pas pour rien. Le karaté est comme un parent : même s’il n’est plus à nos côtés, il reste celui qui nous a éduqué. Pour ma part, la notion du combat a été fondamentale dans ma construction. Savoir que l’on peut avoir mal, que l’on peut prendre des coups, m’a ouvert les yeux face au danger et m’a fait comprendre la nécessité de faire des choix immédiats. Devenir décisionnaire pour éviter d’être le combattant qui va “mourir” dans le duel. Et ce qui vaut pour les deux minutes du combat vaut aussi pour les dix ans d’une carrière à haut niveau et les quatre-vingts, ou plus, d’une existence. À haut niveau, il faut encore plus être dans cette immédiateté, pour se rendre compte que participer à un championnat du monde, un jour tous les deux ans, est exceptionnel. Ce rapport à l’instant présent est devenu au fil des années très fort dans mon quotidien, et c’est ainsi que je gère ma vie et toutes mes activités. En cela le karaté peut être considéré comme un accélérateur de prise de conscience. Dans mon rôle de conseillère en sport, de coach ou de consultante, je m’attache à en faire de même avec les gens que je côtoie. Je suis à l’écoute, attentive à leurs demandes et à la façon dont ils abordent les choses, leur posant des questions qui va les faire réfléchir plutôt qu’en essayant de trouver à leur place des réponses. Je veux les amener à avoir du recul sur les situations, en étant positifs et heureux dans ce qu’ils font.
Pour performer, j’ai été obligée de m’analyser, d’opérer ce travail d’introspection pour chercher à m’améliorer. Le karaté m’a permis de mieux savoir qui je suis, pour être capable de me mobiliser sur moi-même et de me concentrer sur la finalité de mes actions. Pourquoi je suis là et pourquoi je le fais ? C’est aujourd’hui ce qui me sert lorsque je me présente à des castings, exercice très difficile pour moi qui reste une grande timide, introvertie. Il faut toutefois faire les choses sans forcer, car trop de volonté peut tuer le naturel. Cet équilibre à trouver dans le jeu de théâtre est exactement le même que sur le tapis. Je vise cet état de symbiose parfaite, assez extraordinaire, que j’ai pu connaître lors de ma finale des mondiaux 1998 ou sur certains championnats d’Europe, des moments où, en totale surconscience, tu ne penses plus et tout ce que tu entreprends devient fluide. Être là sans vraiment l’être. Une sensation que je n’ai encore jamais connue sur scène. Je suis encore trop novice pour. Comme le karaté, le théâtre possède son langage, sa technique, et il faut donc s’entraîner, répéter, passer devant le public pour devenir performant. Il faut être sincère et être en recherche de la vérité. On ne peut pas se mentir. »
la rédaction