Entraîner, sans perdre le Nord
Fabrice Bouillez, KC Condé-sur-l'EscautPAROLES DE PROF… Lié à son club et sa ville de toujours, KC Condé-sur-l’Escaut, Fabrice Bouillez, Nordiste pur jus, cherche sans cesse à enrichir ses connaissances et son message. Mais malgré cette quête d’excellence, il ne veut pas être réduit à son rôle de professeur de haut niveau et revient toujours à sa mission première : faire progresser et donner du plaisir à tous.
Professeur par nature
Il y a goûté pour la première fois à 12 ans, mais il a attendu ses 17 ans pour croquer dedans pour de bon. Si Fabrice Bouillez a découvert le karaté sur le tard, il est vite devenu un mordu de compétition. À l’époque, son appétit pour l’entraînement est insatiable. « Il m’en fallait toujours plus », confie-t-il avec gourmandise. Le jeune pratiquant s’offre régulièrement une dose de karaté supplémentaire, en dehors de tous cours. Et à chaque fois, il entraîne avec lui une bande de copains. « C’est moi qui dictait les exercices et qui donnait le rythme des séances. Petit à petit, je me suis rendu compte que j’étais naturellement fait pour enseigner », constate-il. En 1999, il décroche un emploi-jeune auprès de la commune de Condé-sur-l’Escaut, sa ville natale. Le club de ce bourg de 10 000 habitants, à quelques kilomètres au nord de Valenciennes, cherche alors un professeur pour diriger les séances du club de karaté. Fabrice Bouillez a 25 ans lorsqu’il prend les commandes du dojo, qu’il n’allait plus jamais quitter.
Champions et gamins : même plaisir à entraîner
Il aime la métaphore. Pour décrire son club, Fabrice Bouillez répète volontiers qu’il « donne à manger à tout le monde ». Et si le haut niveau est le plus « galvanisant », le professeur prend autant de plaisir à entraîner les plus petits. « Quand vous avez des enfants de huit ans, que vous leur faites faire des échauffements ludiques et que vous voyez leur bonheur, c’est une grande satisfaction », sourit-il. Son leitmotiv, c’est de faire progresser ses licenciés à leur échelle, qu’ils soient champions ou amateurs. Et à chaque étape franchie ce même plaisir : « c’est valorisant ».
Mais la joie est encore un peu plus grande avec Salim Bendiab, l’enfant du club, sa plus grande fierté. Le garçon avait 8 ans lorsqu’il a poussé pour la première fois les portes du dojo de Condé-sur-l’Escaut. Presque 20 ans plus tard, il a grandi jusqu’à collectionner les médailles, dont un podium européen. « Salim, c’est comme apprendre à marcher à un enfant, et le voir courir à la fin comme Usain Bolt », rigole le professeur.
Laisser sa liberté à l’athlète
La philosophie de Fabrice Bouillez laisse une grande place aux propres inspirations de ses élèves. « Il y a des entraîneurs qui clonent leurs athlètes. Ils ont un karaté standard, et quand on voit le combattant on sait que c’est telle façon de faire, tel club », estime le coach. Lui revendique tout le contraire. Certes, Fabrice Bouillez est toujours là, dans un coin de son dojo, à observer ses ouailles d’un œil attentif, mais il n’encadre pas toujours. Il pousse ses athlètes à s’exercer seuls ou entre eux, comme lui le faisait plus jeune. Il fait confiance à leur travail personnel et leur ressenti. Entraîner, c’est aussi savoir laisser de la liberté. « Il faut que vous ayez votre propre patte », répète-t-il inlassablement à ses élèves. Bien sûr, il y a des caps à passer, des moments où la répétition et la contrainte sont indispensables. Des périodes de travail de technique pure, pour qu’un gyaku-tsuki soit bien rectiligne. Pour que le placement du pied soit parfait sur mawashi-geri. Mais si un combattant a une garde atypique ou une technique peu académique, il ne va pas chercher à corriger ça à tout prix. « S’il marque des points avec ses particularités, on va greffer des choses autour pour le rendre plus fort, mais on ne va pas la lui enlever », souligne-t-il.
Observer pour progresser
Outre la philosophie, Fabrice Bouillez a aussi les diplômes. Il a fait toutes les formations imaginables. Mais il lui en faut plus. Pour progresser dans sa connaissance du karaté, il s’investit partout. Arbitre national A en kumite, juge national kata, jury de grades : même quand il n’entraîne pas, il fait en sorte de passer un maximum de temps sur les tatamis. La logique est simple : plus il en saura, plus il suivra au plus près l’évolution de sa discipline, et plus il sera à même de transmettre aux adhérents. Pour étancher sa soif de nouveautés, il n’hésite pas à porter son regard au-delà les frontières. Fasciné par la progression de nations comme l’Azerbaïdjan, la Turquie ou l’Iran, il profite de chaque compétition pour analyser les schémas des autres athlètes. « Quand je suis dans ma chaise de coach, j’ai toujours le réflexe d’enregistrer comment l’adversaire de mon combattant travaille, et s’il y a des choses que je peux prendre et adapter », glisse-t-il. Idem quand il est en tribune, il a toujours le regard tourné vers les meilleurs pour y piocher des détails qui pourraient servir.
Condé, club et ville de coeur
Né à Condé, élevé dans l’air frais du Valenciennois, il n’a quitté sa ville natale qu’entre 15 et 25 ans. « Le karaté, c’est ma passion. Condé, c’est ma ville. Donc, le karaté à Condé, c’est mon coeur, c’est mes tripes, c’est mon âme ! », s’enthousiasme-t-il. C’est pour ça qu’il s’investit autant dans son club de 90 adhérents. Même si sa vie de karaté, faite de soirées au dojo, de week-ends de compétition loin du foyer, étonne certains amis et afflige parfois sa compagne et sa fille, qui aimeraient le voir davantage… Fabrice Bouillez le professeur, qui est aussi éducateur sportif auprès de la municipalité, est une figure de Condé. « Parfois, dans la rue, je croise des anciens élèves que je n’avais pas vu depuis dix ans. Ils se souviennent de moi, me remercient, puis m’amènent à leur tour leurs enfants », savoure-t-il. Des enfants qui apprendront eux-aussi le karaté, mais pas seulement. Car avec Sophie Dussart et Marie Darras, qui mènent les entraînements à ses côtés, ils se donnent pour mission de former aussi de futurs citoyens. La ponctualité, la rigueur et la civilité sont rabâchés sans relâche par les enseignants. Pour que les élèves attentifs ne perdent jamais le Nord.
Gaëtan Delafolie / Sen No Sen