Ce lundi 20 mai 2019, la Fédération Française de Karaté dévoile son nouveau site internet ffkarate.fr «relooké» et restructuré afin…
Par équipes, une culture spécifique
Comment le karaté s'est forgé une identité collectiveTraditionnel point d’orgue des compétitions nationales et internationales, les « par équipes » combat jouissent d’un statut particulier en karaté, peut-être plus que dans toutes les autres disciplines de sport de combat. Effort collectif, joie partagée, succès inoubliables… et souvent objectif prioritaire jusqu’alors. Des champions de différentes générations expliquent pourquoi cette épreuve est si particulière.
Un moment de vérité
« A mon sens, c’est assez clair : le par équipes, c’est l’épreuve reine du karaté. » Sacré champion d’Europe avec la France en 2016 après avoir apporté le point décisif, Marvin Garin est catégorique. Et force est de constater qu’il ne s’agit pas d’un point de vue isolé, loin de là. Mais comment expliquer, dès lors, que le combat par équipes ait autant la cote dans une discipline a priori individuelle ? Au fond, qu’est-ce que cette épreuve collective apporte en plus aux combattants ? Pourquoi le karaté, à la différence du judo par exemple, en a-t-il fait son Graal ? « Responsabilité vis-à-vis de soi et des autres, climat propice pour gommer les éventuels antagonismes, développer la cohésion, la liste est longue, affirme Jean-Luc Montama qui, en 1980, est devenu le premier champion du monde français en individuels… huit ans après le premier succès pour l’équipe de France masculine en 1972. Ce que j’ai retenu de tout cela, c’est que les équipes, c’est d’abord un moment de vérité pour un groupe, celle qui manque parfois dans les rapports humains. » Les compétiteurs doivent ainsi unir leurs forces afin d’atteindre un objectif commun. « Nous apprenons aussi à laisser notre ego de côté, ajoute Laurence Fischer, membre de la première équipe féminine française championne du monde, en 2000. Nous n’avons pas forcément de fortes affinités au début mais le fait de mener cette aventure ensemble nous rapproche. »
Se battre pour les autres
Au fil des entraînements et des échéances, des liens se créent, une solidarité émerge, la cohésion du groupe se renforce. Et, au moment de monter sur le tatami, le karatéka garde à l’esprit un élément fondamental : il ne se bat pas pour lui, mais pour les autres. « Les équipes, c’est d’abord arriver sur le tapis en voulant rattraper celui qui vient de perdre, révèle Dominique Valéra, qui était de cette première épopée planétaire victorieuse de la France, en 1972. Chaque membre de l’équipe est fondamental, aucun ne peut servir à rien. » Marvin Garin, lui, garde en mémoire un événement survenu lors des Mondiaux de Linz, en 2016.
« En petite finale, je me suis retrouvé par terre, à deux doigts d’être K.O., raconte-t-il. J’étais complètement sonné, la défaite était quasiment inéluctable. Mais j’ai quand même réussi à entendre les encouragements de mes coéquipiers, et cela m’a donné la force de me relever. Derrière, j’ai inversé la tendance et nous avons fini avec la médaille de bronze autour du cou. Cela n’a été possible que grâce à mes partenaires. Sans eux, en individuel, je serais très certainement resté au sol. » Un exemple fort qui illustre parfaitement une détermination parfois venue d’ailleurs de combattants prêts à tout donner afin d’apporter leur point à l’équipe.
« Un bonheur multiplié par sept »
La victoire, justement, qui se vit souvent de manière beaucoup plus intense qu’en individuel, par le simple fait d’être partagée. Il n’est d’ailleurs pas rare, après une finale, d’assister à des scènes de joie comparables à celles que l’on peut voir dans des sports collectifs. « La victoire, c’est tout simplement un bonheur multiplié par sept, s’exclame Alain Varo, sacré champion du monde par équipes en 1994 et 1996. On peut même oublier des individuels ratés en réussissant son par équipes alors que le contraire n’est pas vrai. » Championne du monde individuelle en 1998, Laurence Fischer reconnaît même avoir bien plus apprécié le titre obtenu deux ans plus tard avec ses coéquipières. « Gagner à plusieurs, c’est beaucoup plus fort qu’en individuel, assure-t-elle. Nous avions déjà fait nos preuves individuellement, mais il nous manquait ce moment de partage. Ce fut la concrétisation de tous les efforts que nous avons réalisés ensemble, et en cela c’est incomparable avec une performance individuelle. »
Le poids de la défaite
La réalité du par équipes est cependant à double tranchant. Si le combattant qui a offert la victoire à son camp peut savourer avec ses coéquipiers euphoriques, le vaincu, lui, se sent forcément responsable de la défaite. L’impression d’avoir failli à sa mission, d’avoir conduit les siens à l’échec… Il faut assumer. « Perdre, au-delà de sa propre déception personnelle, c’est lâcher les copains, souffle Alain Varo. Des équipes ratées et tout s’envole, c’est comme une trahison, un combattant peut mettre des années à s’en remettre. » Pour Laurence Fischer, c’est précisément dans ces moments compliqués que l’équipe doit montrer qu’elle est soudée. « La défaite nous fait culpabiliser, c’est inévitable et ça, on le sait, admet-elle. Dans cette situation, nous devons faire preuve de solidarité. Sans ça, sans liens forts entre combattants, la magie de l’équipe ne peut pas opérer. Ça joue dans la victoire, on doit pouvoir s’appuyer dessus dans la défaite. »
Prendre confiance en soi
La délégation française présente à Novi Sad lors de ces championnats d’Europe (10-13 mai) espérera bien briller avec ses équipes, historiquement à l’aise sur la scène continentale (dix-neuf titres pour les masculins, quatre pour les féminines). Plusieurs jeunes talents, comme Maxime Relifox et Gwendoline Philippe, ont été sélectionnés et auront ainsi l’occasion d’engranger de l’expérience au plus haut niveau. « C’est très bien de profiter d’un rendez-vous de cette importance pour permettre à de nouveaux venus de prendre leurs repères au sein du groupe France, » s’enthousiasme Laurence Fischer. « Les équipes, c’est un formidable laboratoire, ajoute le double champion du monde Olivier Beaudry. On peut y prendre confiance en soi, progresser, banaliser le champion que l’on peut appréhender de rencontrer quand on est jeune. » Marvin Garin est du même avis. « Ces jeunes vont apprendre beaucoup de choses, annonce le combattant de Sarcelles. En 2015, c’était moi le petit nouveau de l’équipe. Désormais, mon rôle est de partager mon expérience avec ceux qui viennent d’arriver ! » Le partage, on y revient toujours.
Raphaël Brosse / Sen No Sen